[Fict.] Expédition Anne Le Van Ra au K2 de Deuil-La-Barre (France – 16 mai 2020)

Expédition Anne Le Van Ra au K2 de Deuil-La-Barre : Le Lac Marchais

Au moment où je prenais connaissance des règles de l’expédition découverte du K.2., j’espérais secrètement tomber sur la case susceptible d’éclairer la lanterne du quidam qui traverse innocemment mais toujours en courant, la ville de Deuil-la-Barre. À l’évocation de ce nom, il n’est pas rare qu’un vent froid s’immisce dans les limbes de nos cerveaux transis dès que l’on évoque la faucheuse.

Exhumons d’un dictionnaire le sens commun du mot pour nous assurer qu’il existe un sens à l’issue moins fatale :

Deuil : n.m., douleur, affliction éprouvée à la suite du décès de quelqu’un, état de celui qui l’éprouve…

Décidément, si le passé du lieu indiquait l’impasse funeste, qu’allions-nous trouver en son K.2. ?

Le K.2. de Deuil-la-Barre se situe au centre d’un carré flanqué d’une tâche bleue désignant un lac. Il serait plus juste cependant d’identifier cette étendue d’eau comme un étang mignon dédié à la détente d’un voisinage aussi discret que lui.

Depuis la rue des tilleuls terminée en cul de sac, seul une discrète pancarte destinée à l’instruction d’un marcheur perdu raconte son histoire ! Quelle veine soudaine ! Le K.2. de Deuil-la-Barre a une histoire à offrir avant de devenir un lieu protégé, destiné à la pêche d’agrément et au pique-nique.

En creusant dans les archives, le lieu nous livre le secret de cet écrin de verdure grillagé, entouré de petites maisons aux jardinets proprets. A travers les haies, outre le chant des mésanges, perce des sonorités perceptibles entre deux survols d’un long courrier (probablement la liaison Bangkok-Paris via Singapour ou le New York-Paris?) du portugais mêlé à d’autres sonorités latines qu’on devine d’appartenance locale et ancestrale : le français !

L’entrée du lac marchais affiche modestement ses origines mérovingiennes et carolingiennes sur un panneau que personne ne lit plus, si bien que vous ne croiserez jamais aucun de ses habitants capable d’expliquer que le Lac Marchais est à l’origine même du nom de la ville de Deuil-la-Barre.

À l’époque mérovingienne, le propriétaire du domaine, le seigneur Ercold, aurait eu l’honneur d’être interpelé dans un rêve : l’Evêque Eugène, ami de l’Evêque Denis (celui de la cathédrale), tout aussi martyrisé et décédé l’un que l’autre… Eugène (canonisé depuis) révéla au seigneur Ercold que son corps avait été jeté dans son lac… Au sud de sa région, on martyrisait des chrétiens à tour de bras. Il y avait eu le premier évêque (Denis) , et voilà qu’on s’en prenait à Eugène, l’évêque de Tolède.

Quelle étrange idée, pensa tout d’abord le seigneur Ercold en observant cette modeste étendue d’eau. Qui pouvait bien lui en vouloir au point de polluer son havre de paix ?… L’évêque Eugène, le compagnon de Saint-Denis,… celui qui, après sa décapitation marcha durant 7 kilomètres depuis Montmartre vers le nord, avant de tomber sur le lieu de l’édification de la cathédrale ? Si on retrouvait Eugène, il ne porterait plus la tête sur ses épaules, pensa le seigneur. Il se prépara à l’éventualité d’une telle découverte avant de rassembler tous ses gens de maison pour assister à celle-ci sans qu’on ne puisse l’accuser du meurtre de ce chrétien déjà célèbre auprès de la communauté hispanique.
La plupart de ses gens, évangélisés de bonne heure, ne lui auraient jamais pardonné un tel crime. Il convint donc de convoquer tout le monde et de faire part de son rêve d’assez bonne heure, mais pas avant d’avoir constaté que le corps était bien au fond de son lac. Il fit draguer l’étang par deux serviteurs dévoués : l’un muet, l’autre sourd.


La perche du muet accrocha très vite un bloc que le sourd tâta du bout du doigt. L’eau était fraîche et le cresson absent à cet endroit laissait apparaître une énorme caisse. Ils ne furent pas trop de trois pour récupérer la chose, dans une eau peu profonde mais dangereusement vaseuse. Sur la rive, la caisse d’un bois précieux représentait une silhouette d’homme, un sceptre à la main. Un sarcophage ! On avait affaire à un dépôt de valeur, organisé très certainement par un puissant. Après avoir ouvert le couvercle, la surprise de deux des hommes les laissa sans voix, le troisième écarquillait les yeux. Si c’était bien Eugène, alors quelque chose n’allait pas. Il était entier ! La tête encore bien vissée sur les épaules.
L’inconnu affichant un drôle de rictus, qui laissait à penser que la martyrisation qui avait eu raison de lui était le rire… rictus doloris ! Avait-il fini par mourir de rire ? Le seigneur Ercold s’interrogeait en constatant aussi qu’il avait l’œil vitreux et une mine manquant un peu de souffle, à en juger pas la couleur mauve de ses pommettes. Mais fichtre, qu’est-ce qu’il ressemblait au visiteur de la nuit ! Une peur panique s’emparait soudain du seigneur Ercold : … mais quelle diablerie se nichait là ? Quelle hibou était donc venu lui souffler la présence de ce ce mort au fond de l’étang ? Il ne l’avait jamais vu auparavant… En tout cas, pas avant ce rêve.
Il repensa un instant à l’affaire de Saint-Denis et s’effraya à l’idée de voir une cathédrale s’élever sur son domaine, son étang, sa pêche sacrée du dimanche ! Il fallait trouver manière à déplacer l’obligation d’honorer le culte un peu plus loin. Oh, pas trop loin, histoire de ne pas fâcher Eugène (si c’était bien lui) qui ne tarderait pas à être canonisé… Le seigneur Ercold, (bien que myope) voyait loin ! Prévoir était une condition de survie.


Le muet promis de ne rien dire et le sourd de faire celui qui n’avait rien entendu. Quant au seigneur Ercold, il ferait celui qui n’a rien vu, alors qu’ils organiseraient tous les trois une cérémonie d’un genre particulier, pour justifier leur pêche miraculeuse.Le sarcophage fût rejeté illico dans la mare pour être repêché devant témoins…
On en était pas à un miracle près, se disait le seigneur Ercold.
Après avoir convoqué la vingtaine de gens disponibles et à son service à cette heure matinale, il leur raconta son rêve avec emphase et transe, avant de les inviter à venir re-repêcher le sarcophage dans l’étang. Il le fit ouvrir par le muet, fît constater la présence par le sourd et invita le reste de ses serviteurs à s’agenouiller devant la sépulture afin d’honorer le martyr. Enfin, il ordonna la fermeture du sarcophage et désigna deux serviteurs pour trouver une monture capable de porter le mort ailleurs que sur le domaine… pour que l’esprit guide l’attelage vers sa demeure sacrée ! La messe était dite !


Le Seigneur Ercold, examina les montures équestres apportées avant de stopper le départ imminent. Les chevaux risquaient d’aller trop loin. On perdrait leur trace… Il ordonna finalement qu’on échange l’attelage contre celui de deux vieux bœufs de l’étable. Il chargea les serviteurs présents de suivre la le saint sarcophage jusqu’à ce qu’il s’arrête. Là, serait construite une chapelle dédiée au culte de ses chrétiens.

Le seigneur Ercold savait que l’attelage, livré à lui-même, ne pousserait pas la fantaisie de sa balade jusqu’à monter la colline de Montmorency. Les deux vieux bœufs, atteignirent la limite de leur capacité technique quelques 300 mètres plus bas. C’est donc dans une clairière que fût édifiée l’église actuelle après qu’une série de miracles s’y soient produite… sur l’actuelle Place du V2 (une autre hécatombe). Pour l’heure, le Lac Marchais reste un lieu protégé des regards indiscrets et qui fait le bonheur des familles de petits pêcheurs plus ou moins catholiques…

Le lieu figure sur les cartutaires de Notre dame de Paris dès 862, sous l’appellation de Diogilium, ou Doguillum, puis Villam Dueil, autrement traduit approximativement par l’expression « domaine sacré ».

Illustrations et texte d’Anne le Van Ra

Making off : pour déterminer le K2 de Deuil-La-Barre, l’expéditionnaire Anne le Van Ra a dû redessiner le quadrillage de la ville (changer d’échelle ; les cartes officielles s’arrêtant avant le K), inverser les abscisses et ordonnées pour découvrir que le K2 de la ville est le Lac Marchais à l’origine de son nom ! Cela ne peut décidément pas être un hasard : « J’ai pris Google Map pour refaire un quadrillage, mais avec l’idée de respecter le K2 ! Nos villes sont trop petites pour avoir des K naturels ! J’ai fait le tour des cartes de villes limitrophes… c’est pareil partout ! Les dessins, c’est moi qui les a faits, parce que je trouvais cette histoire de rêve délirante et tellement approximative ! Je pense qu’une ville comme Deuil-La-Barre devrait exploiter son côté mortel… surtout au moment d’Halloween… »